Vierge à l’Enfant endormi
©Hugo Maertens
Vierge à l’Enfant endormi
©Hugo Maertens
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Vierge à l’Enfant endormi

PHILIPPE DE CHAMPAIGNE (Bruxelles, 1602-Paris, 1674)

Cette Vierge à l’Enfant endormi, bien qu’une des œuvres les plus insignes du musée, reste parée d’une aura mystérieuse quant à l’identité de son auteur. Par son dessin précis, le raffinement de son coloris au bleu lapis, la clarté de sa composition et la spirituelle douceur de ses personnages, le tableau peut être attribué à Philippe de Champaigne (1602-1674), l’un des principaux peintres français du XVIIe siècle. Celui-ci s’illustra tout particulièrement dans les représentations religieuses, recevant de nombreuses commandes de différents ordres. Dans sa biographie sur l’artiste (1893), l’historien Augustin Gazier suggérait même que peindre était pour Champaigne « une forme de prière ». Par son intensité émotionnelle, la madone d’Agen tend à conforter cette poétique idée.

Détails

Fiche technique de l'oeuvre
Artiste PHILIPPE DE CHAMPAIGNE (Bruxelles, 1602-Paris, 1674)
Titre Vierge à l’Enfant endormi
Date Vers 1655
Domaine Peinture
Technique Huile sur toile
Dimensions H. 0.83 m - L. 0.6 m -
Numéro d'inventaire 81.1.1
Sujet / Thème Vierge à l’Enfant, Marie, Jésus

Une double représentation humaine et divine 

La composition est simple, mais riche en symbolique. Marie est assise dans un sobre espace architecturé, son visage d’un blanc immaculé se détache du mur plongé dans l’obscurité. Elle regarde avec tendresse le spectateur, tout en tenant blotti contre elle Jésus, endormi paisiblement. L’instant saisi relève d’une scène de bonheur intime empli d’un amour maternel et protecteur, semblant suivre l’acte nourricier de l’allaitement : le sein de Marie sort pudiquement de sa robe. Le manteau bleu de la Vierge, couleur mariale par excellence, rehausse l’œuvre par les nuances et la puissance du pigment. Il s’agit de lapis-lazuli, un matériau rare et précieux provenant du Proche-Orient : son usage trahit la richesse du commanditaire de l’œuvre, peut-être un laïc la destinant à son oratoire privé.

Malgré l’humanité de cette scène tirée de la vie quotidienne, l’œuvre n’en reste pas moins porteuse d’un discours sacré. Marie et Jésus sont mis en valeur par l’utilisation d’un cadrage serré, leur conférant une monumentalité et une frontalité qui permettent l’intercession immédiate avec le regardeur. À gauche, un paysage agreste accompagne la quiétude de la scène. Il est ensoleillé par un ciel aux tons jaunes évoquant l’aube. Il symbolise la nouvelle ère, celle de la Grâce, avec l’arrivée du Sauveur parmi les humains. Cependant, l’Enfant est endormi, préfigurant sa mort. Il est entouré d’un linge blanc, évoquant le linceul dans lequel il fut enterré après sa crucifixion. Le rouge carmin, vivifiant le centre du tableau, annonce lui sa Passion.

Un renouveau de l’iconographie mariale en France

L’iconographie mariale connut une importance toute particulière au milieu du XVIIsiècle, après le « vœu de Louis XIII ». Le roi, n’arrivant pas à avoir d’héritier mâle afin d’obtenir un successeur au trône, implora l’aide de la Vierge, en échange de quoi le royaume de France lui serait consacré. En 1638, Anne d’Autriche accoucha du futur Louis XIV, et le roi tint parole. Plusieurs ouvrages de dévotion à Marie parurent, comme l’Office de la Sainte Vierge de Tristan Lhermitte (1646). En parallèle, plusieurs peintres comme Philippe de Champaigne représentèrent le Vœu de Louis XIII (1638, Caen, musée des Beaux-Arts, inv. 163).

Le tableau d’Agen fait également partie d’un groupe d’œuvres du milieu du siècle figurant Marie et l’Enfant dans une situation de la vie quotidienne, mettant en valeur tout autant leur caractère humain que sacré. Nicolas Poussin (La Sainte Famille, 1641, Detroit, Institute of Arts, inv. 54.2), Georges de La Tour (Le Nouveau-Né, vers 1645, Rennes, musée des Beaux-Arts, inv. 794.2.6), ou Charles Le Brun (Le Silence, 1655, musée du Louvre, inv. 1938 F 596) exécutèrent de telles images pieuses empreintes d’une grande tendresse, situées dans un environnement pittoresque.

L’iconographie de Marie allaitant, appelée « Vierge du lait », ou « Virgo lactans », fut également populaire suite au concile de Trente, et le combat de la Réforme protestante par les images. Par la mise en avant du caractère humain de Marie, elle permettait aux fidèles de mieux s’identifier à elle et d’ainsi favoriser la dévotion mariale. Comme pour le tableau d’Agen, les artistes s’attachèrent également à représenter l’instant suivant, où Jésus, après avoir été nourri, s’endort. On peut citer les exemples de Jacques Stella en France (vers 1650, localisation inconnue, passée en vente dans la galerie Michel Descours, 2018), ou de Pieter-Paul Rubens en Flandre (vers 1615, Chicago, Art Institute, inv. 1967.229 ). 

Un tableau de Philippe de Champaigne ?

Hormis une attribution à la fin du XXe siècle au peintre Charles-Alphonse Dufresnoy, sur des arguments stylistiques, le tableau fut toujours considéré comme une œuvre de Philippe de Champaigne. Exposée dans la rétrospective sur l’artiste, à Paris (musée de l’Orangerie) et à Gand en 1952, elle bénéficia d’une étude poussée du spécialiste du peintre, Bernard Dorival. Le tableau fut gravé par Nicolas de Poilly, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, indiquant que le modèle est de Champaigne. L’œuvre agenaise resta en mains privées, jusqu’à son achat en 1969 par Pierre Esquirol, collectionneur et futur maire d’Agen, qui la légua au musée en 1981. 

Outre la gravure, plusieurs autres versions – autographes ou non - du tableau sont connues, et passent régulièrement en vente sur le marché de l’art. Ce corpus abondant témoigne de la popularité de la peinture agenaise dès le XVIIe siècle. Ceci tendrait à confirmer l’attribution de l’œuvre à Champaigne, puisque ses œuvres étaient très connues et diffusées, s’agissant de l’un des principaux peintres religieux de son temps. 

Philippe de Champaigne, grand peintre religieux du XVIIe siècle 

Philippe de Champaigne traversa le XVIIe siècle, puisant son inspiration chez les grands artistes européens. Bruxellois, il connut tôt les grandes machines de Rubens, pleines d’effets dramatiques et de mouvements, qu’il reprit à son compte. Parti poursuivre sa formation de peintre à Rome, afin d’étudier les antiques et les grands maîtres de la Renaissance, il s’arrêta à Paris, qu’il ne devait plus quitter. Il collabora avec le maître le plus important du moment, Georges Lallemant. Son art s’assagit avec le temps, jusqu’à devenir un exemple d’équilibre, aux moyens d’un dessin clair et précis, et d’un coloris tempéré et lumineux (v. 1650, Le Sommeil d’Élie, Le Mans, musée Tessé, LM 10.85). Il devint l’un des acteurs majeurs de la scène artistique parisienne, co-fondateur de l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1648, et à la tête d’un atelier composé notamment de son neveu Jean-Baptiste de Champaigne, dont un tableau agenais lui est attribué (Portrait d’Etienne Delafons, inv. RF 2036, présentant un fond architecturé avec une ouverture sur le paysage similaire à la Vierge à l’Enfant endormi). Il bénéficia de nombreuses commandes pour les églises parisiennes et les ordres religieux, qui diffusèrent son art partout en France (Assomption pour les Chartreux à l’église Saint-Bruno de Bordeaux). Il devint également un artiste majeur des Jansénistes de Port-Royal, où se trouvait sa fille, au point d’avoir trop souvent été limité à cet ordre au mode de vie que l'on rapprocha volontiers de son style artistique : austère et simple. 

Pour cette abbaye, Champaigne réalisa en 1662 un de ses tableaux les plus fameux, l’Ex-voto, aujourd’hui au musée du Louvre (inv. 1138). Sa fille, devenue sœur dans ce couvent, est représentée en prière après avoir guérie miraculeusement. Son visage présente des analogies avec celui de la Vierge agenaise : visage ovale et pâle, yeux enfoncés et surmontés de sourcils finement dessinés en demi-cercle, forme du nez similaire avec une arête droite, pommettes pincées… Cette proximité stylistique permet de dater le tableau d’Agen autour de 1655-1660, concordant avec la manière plus claire, dépouillée et ordonnée de Champaigne. Cette évolution coïncide avec ses expériences : après avoir perdu sa femme et son fils, il se retira en 1647 en périphérie de Paris, afin d’y cultiver un mode de vie de délassement et de méditation, associant son art à sa spiritualité. 

Provenance (selon Dorival)

Collection de l’artiste (cité dans l’inventaire après-décès, n°62, 1674 ; transmis à sa mort à son neveu Jean-Baptiste de Champaigne ; transmis à son épouse Geneviève Jehan ; transmis à Pierre Hamelin (second époux de cette dernière) ; sa descendance ; rentre dans la famille d’Antoine-Jean François de Breda suite à son mariage avec Marie-Lucie Hamelin en 1762 ; sa descendance ; acquit à Paris en 1969 par Pierre Esquirol, collectionneur et maire d’Agen (vente n° 53 du 3 décembre, Palais Galliéra, Me Rheims) ; legs au musée en 1981. 

Expositions

Philippe de Champaigne, Paris, Orangerie des Tuileries et Gand, musée, 1952, n°37 (notice de Bernard Dorival)

Benjamin Esteves

Localisation

1er étage

Dernière mise à jour : 11 déc. 2023

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