©Alban Gilbert
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Le Ballon

FRANCISCO DE GOYA Y LUCIENTES (FUENDETODOS, 1746-BORDEAUX, 1828), Atelier de

Emblème du musée des Beaux-Arts d’Agen, Le Ballon représente une montgolfière s’élevant dans le ciel alors que, dans un paysage montagneux, une foule de personnages à pied et à cheval s’agite s’efforçant de suivre sa trajectoire. S’il n’est pas prouvé qu’il se confond avec la toile intitulée « El Globo » dans l’inventaire des biens de Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828) dans sa maison de campagne de Madrid vers 1828, il appartient aux héritiers du maître puis à Federico de Madrazo, gestionnaire des biens de ces derniers, qui le revend avec quatre autres tableaux du même pedigree au comte de Chaudordy, Agenais devenu ambassadeur à Madrid entre 1874-1878.

Détails

Fiche technique de l'oeuvre
Artiste FRANCISCO DE GOYA Y LUCIENTES (FUENDETODOS, 1746-BORDEAUX, 1828), Atelier de
Titre Le Ballon
Date Vers 1816-1824 ?
Domaine Peinture
Technique Huile sur toile
Dimensions H. 1.05 m - L. 0.84 m -
Numéro d'inventaire 335 CH
Sujet / Thème Scène historique, montgolfière, guerre d’Indépendance, cheval

Une scène de la guerre d’Indépendance ?

L’enthousiasme des premières ascensions de montgolfières en France (1783) se concrétise par la diffusion simultanée du thème du ballon aérostatique dans les arts plastiques. Devenu sujet à la mode et motif décoratif, il se propage par l’intermédiaire de séries d’estampes et devient rapidement un ornement décoratif, repris notamment sur le dossier de certains modèles de chaises. Le premier vol aérostatique espagnol se déroule dès 1784, bientôt suivi de l’idée d’avoir recours à la montgolfière dans les opérations militaires. Le Ballon du musée d’Agen évoque peut-être justement le détournement de cette invention à de telles fins.  Sujet principal de la toile, il surmonte le paysage escarpé d’une sierra, dominé par le ciel qui occupe plus de la moitié de la toile. Des troupes à pied et à cheval envahissent le site, sans s’apercevoir que leurs ennemis les épient, cachés derrière le relief rocheux qui les entoure. Le ballon, en haut à gauche, très visible, transporte deux personnages qui soulèvent des drapeaux. En l’absence de détails plus précis, il est encore difficile de rattacher cette scène mystérieuse à un événement particulier. Il pourrait s’agir d’un épisode de la guerre d’Indépendance (1808-1814), pendant laquelle le ballon aérostatique fut utilisé comme outil d’espionnage. L’atmosphère étrange et brouillée souligne l’anonymat des protagonistes et questionne sur l’attribution traditionnelle de l’œuvre à Francisco de Goya, connu pour l’importance accordée à la précision de l’expressivité des visages et des attitudes au détriment de l’environnement. Le traitement en masse de la foule compacte est très proche du célèbre Colosse (musée du Prado, Madrid, inv. P002785), dont l’attribution à Goya a été définitivement abandonnée en 2008.

La technique picturale s’éloigne des habitudes du maître avec une mise en place hâtive de la composition au pinceau, des empâtements travaillés au couteau et des effets de matière volontaires, avec des personnages et le cheval au premier plan à peine esquissés. La montgolfière a quant à elle été transposée à l’aide d’un pochoir. Ces effets de matière se retrouvent dans une scène nocturne, Foire sur les rives du Manzanares (collection particulière, Espagne), dont le format et la composition sont si proches de ceux du Ballon qu’elle pourrait en être le pendant, dissocié très tôt.

Une œuvre sous-jacente

Des analyses techniques ont identifié une peinture sous-jacente, recouverte par l’actuel Ballon, le portrait d'un évêque, peint tête-bêche par rapport à l’œuvre actuelle. Le recours à des tableaux déjà peints était monnaie courante dans l’atelier de Goya, comme le prouvent d’autres exemples.  Il est avéré que le maître avait sacrifié une partie de ses toiles neuves pour servir l’effort de guerre. Le portrait caché comprend un cartouche qui renseigne sur l’identité du prélat « El Yll.°+ S. D.n / Man.l Abbad. Ylla / na Canonigo Preme / hijo d. la Casa d. S. Nor / berto d Vallad.d Cathe / dratico d la Unib.d d./  Salam.a Obispo d. Tu /[c]umanecho p.r Ma […] / el Aňo d. 1762 ». Manuel Abad Yllana (1717-1780) occupa plusieurs charges avant de partir en Argentine en 1762 pour occuper l’évêché qui lui avait été confié. Il est improbable que Goya en soit l’auteur puisqu’il n’avait que seize ans à l’époque du départ du prélat et commençait tout juste à peindre.

Un artiste faiseur d’allégories

En 1808, l’Espagne est envahie. La guerre éclate avec les événements des 2 et 3 mai à Madrid, illustrés par Goya, tandis que Joseph Bonaparte, frère de Napoléon, monte sur le trône. Goya se précipite à Saragosse pour observer les ruines de sa patrie assiégée. De retour à Madrid, il exécute la Porteuse d’eau et le Rémouleur (Szépmüvészeti Múzeum, Budapest, inv. 760 et 763), vraisemblablement conçus comme des figures allégoriques de la défense de la ville par le peuple. Il entreprend aussi les premières planches consacrées à la violence de la guerre en 1810, qui vont former la série des Désastres de la guerre. Depuis la maladie qui l’a laissé sourd en 1793, il se concentre sur ses projets personnels (panneaux de petits formats, carnets de dessins, gravures, projets spécifiques), les abandonnant parfois pour réaliser quelques portraits. Il délègue des commandes à ses assistants (des répliques d’œuvres) et leur facilite l’accès à son immense répertoire de motifs pour leur servir à composer une production goyesque. Le fonctionnement de cet atelier se rattache à la tradition des grandes entreprises, au même titre que celle de son maître Francisco Bayeu (1734-1795). Son existence a été rejetée pendant longtemps par les historiens de l’art car elle déconstruit inévitablement l’image romantique façonnée au XIXe siècle du génie enfermé dans sa surdité. Néanmoins, l’avancée de la recherche prouve que Goya continue, malgré son handicap, à fréquenter les lieux de sociabilité madrilènes et à rechercher honneurs et pensions pour son fils Javier, peintre oisif qui fait un beau mariage. Les années de guerre s’accompagnent d’une intense activité dans l’atelier du maître. Si les réalisations des collaborateurs s’inspirent des œuvres du maître, elles se caractérisent par leur diversité (sujets, techniques) et une liberté de partis pris que Goya a dû encourager. Il est encore compliqué de rattacher les œuvres à des artistes précis, même si la personnalité d’Asensio Juliá Alvarrachi (1760-1832) se détache du groupe, au point de lui avoir attribué un temps Le Colosse du musée du Prado en raison des initiales A.J découvertes sur la toile. Si ce nom doit être abandonné, la modernité de cette allégorie dénote un artiste d’une grande invention capable de construire un univers singulier qui se retrouve dans les toiles du Ballon et de la Feria.

Provenance

Collection de Javier Goya, fils de Goya, 1854 ; collection de Mariano Goya, fils de Javier Goya, 1854 ; collection de Federico de Madrazo, Madrid, 1867 ; collection du comte Damaze de Chaudordy, Paris (Grand salon), 1899 ; legs du comte de Chaudordy au musée des Beaux-Arts, Agen, 1899 ; entrée au musée des Beaux-Arts, Agen, 1900

Expositions

  • Goya, génie d’avant-garde - le maître et son école, musée des Beaux-Arts des Beaux-Arts, Eglise des Jacobins, Agen, 8 novembre 2019 - 10 février 2020, n° 28
  • Cosmologies, musée des Beaux-Arts, Montréal, 17 juin-17 octobre 1999 ; Centre de cultura contemprània, Barcelone, 23 novembre 1999-20 février 2000 ; Palazzo Grassi, Venise, 26 mars-23 juillet 2000, n° 117
  • L’art européen à la cour d’Espagne au XVIIIe siècle, galerie des Beaux-Arts, Bordeaux, 5 mai-1er septembre 1979 ; galeries nationales du Grand-Palais, Paris, 28 septembre-31 décembre 1979 ; Museo Nacional del Prado, Madrid, 25 janvier-25 avril 1980, n°31
  • Trésors de la peinture espagnole. Églises et Musées de France, musée des Arts décoratifs, Paris, janvier-avril 1963, n° 122
  • Les grands maîtres espagnols, Nationalmuseum, Stockholm, 12 décembre 1959-13 mars 1960, n° 151
  • Goya, Gemälde, Zeichungen, Graphik, Tapisserien, Kunsthalle, Bâle, 23 janvier-12 avril 1953, n° 32
  • Goya. 1746-1828, galerie des Beaux-Arts, Bordeaux, 16 mai-30 juin 1951, n° 45
  • Goya : IIe centenaire, Bordeaux 1946, musée de Peinture, Bordeaux, 15 juin-15 juillet 1946, n° 6
  • Peintures de Goya des collections de France, musée de l’Orangerie, Paris, 1938, n° 22

Localisation

1er étage

Dernière mise à jour : 09 nov. 2020

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