©Alban Gilbert
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Commode en laque européenne de l’époque Louis XV

France

Cette commode du dernier tiers du règne Louis XV (1715-1774), aux formes et au décor oscillant entre le goût rocaille et le retour au classicisme, témoigne de l’engouement pour l’Extrême-Orient dans les arts décoratifs, particulièrement en France depuis la fin du règne de Louis XIV. Cette fascination atteint son paroxysme entre 1730 et 1770 mais se poursuit jusqu’au début du XXe siècle. Cette ferveur s’accompagne d’échanges entre deux civilisations, non sans interprétations abusives, voire fantasmées, et par l’attrait pour des matériaux précieux, à l’image de la laque.

Détails

Fiche technique de l'oeuvre
Artiste France
Titre Commode en laque européenne de l’époque Louis XV
Date Vers 1760 - 1770
Domaine Objets d'art
Technique Bâti en chêne, panneau de pin, laque et vernis, marbre Sainte-Anne
Dimensions H. 0.87 m - L. 0.97 m -
Numéro d'inventaire 82 CH
Sujet / Thème Chinoiserie, paysage, feuilles d’acanthe

Un meuble d’un modèle singulier

La commode ouvre par deux rangs de tiroirs disposés sur un bâti parallélépipédique de forme légèrement évasée vers l’arrière et agrementé d’un ressaut central en façade. Elle repose sur un piètement en console d’un goût Louis XV assagi. Cette formule dérive des commodes à la grecque, confectionnées par Jean-François Œben (1721-1763) au début des années 1760  pour les appartements du château de Ménars (Loir-et-Cher), propriété de la marquise de Pompadour. Le meuble hésite entre les courbes de son pietement, bien que plus raide que les commodes rocailles de la décennie 1740, et une caisse classique qui préfigure les meubles de l’époque Louis XVI. Ce courant, baptisé « Transition », se retrouve jusqu’à la mort de Louis XV et les premières années de son petit-fils, Louis XVI. Toutefois, les commodes Transition sont plus basses sur pieds que la commode du musée d’Agen. L’œuvre est sommée d’un marbre gris Sainte-Anne qui épouse le profil légèrement mouluré. Le décor est complété par des bronzes dorés sur toute la surface : des poignées rondes constituées de couronnes de laurier, des entrées à ruban et les angles en façade agrémentés de têtes de lions. Des chutes florales épousent les pieds de la commode  qui se terminent par des feuilles d’acanthes inspirées de l’antique, remis à l’honneur depuis l’identification du site archéologique de Pompéi en 1763.

L’identité de l’ébéniste de la commode du musée d’Agen est compliquée à établir faute d’estampille. L’obligation de 1743 d’estampiller les meubles souffre de nombreuses exceptions, notamment pour les ensembles dont seules quelques pièces étaient marquées. En outre, il existait aussi des ouvriers libres, travaillant en dehors des corporations et qui ne respectaient pas ces règles. L’ouvrage est entièrement paré d’un décor en vernis à l’imitation de la laque, composé d’un paysage chinois, appelé pagodes au XVIIIe siècle. Le fond est brun foncé tandis que l’intérieur des tiroirs est peint en rouge. Les principaux motifs se détachent en léger relief, exécutés à la feuille d’or avec des détails soulignés par un trait fin. Cette décoration témoigne pleinement de cette mode qui offre aux occidentaux l’image d’une Chine fantasmée, ponctuée de motifs caricaturaux, maisons, pontons et ponts construits sur de petits ilôts orientaux, phénix, arbres graciles avec des masses fleuries.

De l’imitation de la laque à la création d’un matériau nouveau: le vernis Martin

Par ses qualités exceptionnelles, la laque remporte un immense succès et sa commercialisation est confiée quasi exclusivement aux marchands-merciers, antiquaires de l’époque. Après avoir très largement importé des coffres, des cabinets et des paravents, ces derniers imaginent de rentabiliser ce commerce en prélevant les panneaux de laques pour les adapter à des meubles occidentaux.

A la fin du XVIIe siècle, le coût de plus en plus prohibitif des laques nipponnes et la qualité décroissante des laques chinoises participent à la volonté des Européens de s’emparer de cette technique pour devenir autonomes en matière de production. L’élite des vernisseurs français de la manufacture des Gobelins et les vernisseurs indépendants s’efforcent de reproduire les laques asiatiques et fabriquent des  « vernis façon Chine », reprenant les procédés exposés par Jean-Félix Watin (1728 - ?) dans son ouvrage L’art du peintre, doreur et vernisseur, édité en 1772.

Ils créent ainsi un style dans le goût « moderne », recherché par le roi Louis XV, la marquise de Pompadour, l’aristocratie et la bourgeoisie aisée, leur assurant des meubles à l’imitation de la Chine. Les plus célèbres vernisseurs sont sans conteste les cinq frères Martin, notamment Guillaume (1689-1749) et Etienne-Simon (1703-1770), qui développent une composition nouvelle dont la recette tenue secrète a la particularité d’évoluer pour s’adapter à de nombreux supports, des voitures hippomobiles aux bonbonnières et tabatières. Cette production révolutionnaire, qui porte le nom de ses créateurs, le vernis Martin, atteste du goût pour l’exotisme et atteint des sommets de raffinement alliés à une extrême qualité d’exécution qui frise la perfection. La technique ne parvient cependant pas à la perfection du laque, résine naturelle très résistante. La laque française, communément appeléee vernis, est très sensible à l’eau, aux variations de température et donc craquelle et jaunit.

Cette commode, au vernis lisse, est plutôt une réalisation de peintres doreurs vernisseurs parisiens inspirés des productions des frères Martin, connus pour leurs décors plus en relief se rapprochant  du rendu de la laque asiatique.

Un décor épris d’Extrême-Orient : la vague de la chinoiserie

La création en 1664 de la Compagnie française des Indes Orientales, devenue plus tard la Compagnie de la Chine,  favorise l’importation d’objets exotiques, suscitant la convoitise des plus puissants, à l’image du cardinal Mazarin. L’explosion de cet engouement vient surtout de l’intérêt que porte le roi Louis XIV à la Chine car il souhaite développer les échanges entre l’Orient et l’Occident. Les inventaires royaux mentionnent la présence de nombreux objets chinois à Versailles parmi lesquels des paravents en laque. Cette fascination est accrue par la réception des ambassadeurs de Siam par le roi Louis XIV le 1er septembre 1686 par la somptuosité des présents diplomatiques offerts en cette occasion qui éblouissent la cour.

L’acmé de cette fièvre extrême-orientale sous le règne du roi Louis XV donne lieu à l’importation par la Compagnie française des Indes Orientales de nombreux objets chinois et japonais, commercialisés par les marchands-merciers à Paris. Les modèles originaux sont supplantés par des gravures dans le goût sinisant réalisées par des artistes européens qui n’hésitent pas à s’éloigner de la vérité ethnologique pour créer un univers exotique fantasmé. On distingue deux catégories de gravures françaises à décor de la Chine : celles qui illustrent des recueils de voyage et celles gravées d’après  les peintres en vue, Jean-Baptiste Oudry (1686-1755), François Boucher (1703-1770), Jean-Baptiste Greuze (1725-1805), Jean-Baptiste Pillement (1728-1808), Jean-Baptiste Huet (1745-1811). Antoine Watteau (1684-1721) et François Boucher (1703-1770) créent un nouveau style, la chinoiserie rocaille, une interprétation francisée, idéalisée de l’Extrême-Orient qui correspond au goût de l’époque et qui s’éloigne des paysages et des scènes asiatiques.

Les gravures de scènes de la vie chinoise sont abondamment copiées pour décorer des supports divers et sont reproduites notamment par les peintres doreurs-vernisseurs. Sont à l’honneur des motifs de chinois, de pagodes, de paysages, d’oiseaux. La souplesse du vernis lui permet de s’adapter aux formes galbées des commodes. Les fonds noirs ont la préférence pour les décors d’aventurine (poudre d’or projetée avec une couche de vernis et recouverte de couches transparentes) qui laissent libre cours aux chinoiseries fantaisistes que des ébénistes réputés reproduisent, comme Jean Desforges  qui adopte un décor floral sur fond sombre pour la commode qui est conservée au château de Fontainebleau (inv.76.c.).

Le meuble du musée d’Agen véhicule, avec son décor aux petites scènes sur fond sombre, l’image d’une Chine fantasmée qui embrase l’Occident durant tout le XVIIIe  siècle, révolutionnant les arts décoratifs décoratifs. Outre la hauteur des pieds, le décor en vernis l’éloigne du lot des commodes Transition et rattache le meuble agenais à une commande particulière, sans doute directement auprès de l’ébéniste ou par l’intermédiaire d’un marchand-mercier.

Provenance

Collection du comte Damaze de Chaudordy, Paris, 1899 ; legs du comte Damaze de Chaudordy au musée des Beaux-Arts, Agen, 1899 ; entrée au musée des Beaux-Arts, Agen, 1900

Vidéo

Localisation

1er étage

Dernière mise à jour : 13 oct. 2022

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