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Tombeau d’Etienne de Durfort et de son épouse
©Alban Gilbert
Tombeau d’Etienne de Durfort et de son épouse
©Alban Gilbert
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Tombeau d’Etienne de Durfort et de son épouse

ANONYME

Dans son Précis historique sur la famille de Durfort Duras édité en 1858, Jean Favre précise notamment que la chapelle du château de Lafox (Lot-et-Garonne) abrite toujours «un tombeau sur lequel sont sculptées les armes de la famille de Durfort-Bajaumont : sur les deux grands côtés sont les douze apôtres avec leurs attributs, et sur la face du monument deux anges prosternés aux pieds de Dieu » (p.18). Rare monument funéraire rescapé du vandalisme, particulièrement méthodique et destructeur dans l’Agenais, perpétré pendant les guerres de religion puis au cours de la révolution, il est offert vers 1875-1879 au musée, tout juste fondé, par le comte de Turenne, nouveau propriétaire du château « où il se dégradait » (Georges Tholin, Revue de l’Agenais, tome 6, 1879, p. 81). L’œuvre s’inscrit dans la production de tombeaux, commandés pour les membres de l’aristocratie et du clergé à partir du XVesiècle, et qui connaît une multiplicité de déclinaisons au siècle suivant.

Tombeau d’Etienne de Durfort et de son épouse
illustration 1 Tombeau d’Etienne de Durfort et de son épouse, ©Alban Gilbert
Tombeau d’Etienne de Durfort et de son épouse
illustration 1 Tombeau d’Etienne de Durfort et de son épouse, ©Alban Gilbert
Tombeau d’Etienne de Durfort et de son épouse
illustration 1 Tombeau d’Etienne de Durfort et de son épouse, ©Alban Gilbert

Détails

Fiche technique de l'oeuvre
Artiste ANONYME
Titre Tombeau d’Etienne de Durfort et de son épouse
Date Vers 1540
Domaine Non renseignée
Technique Taille
Dimensions H. 1.33 m - L. 1.33 m - l. 1.98 m -
Numéro d'inventaire 56 A1
Sujet / Thème Gisant, homme, femme, saint, apôtre, chapelet

Le tombeau et son écrin

Seule œuvre du musée à n’avoir jamais été déplacée depuis son installation, ce tombeau comprend les gisants d’Etienne de Durfort, seigneur, entre autres, de La Roque-Timbaut, Castelnoubel et de Bajamont, et de l’une de ses épouses, la première Françoise de Montpezat, ou Rose de Montesquiou, sa deuxième femme devenue sa veuve. Les défunts sont étendus sur un soubassement en partie ajouré et décoré d’arcades abritant Jésus, le collège apostolique et des figures saintes chères au couple en relief. L’ensemble constitue un cénotaphe, élevé dans la chapelle castrale consacrée à Sainte-Catherine, au château de Lafox, domaine de la maison de Durfort depuis 1477.  La construction de l’édifice est l’expression de la volonté d’Etienne de Durfort dans son testament du 8 octobre 1529. Dans son étude sur le tombeau parue en 1908, l’abbé Marboutin rappelle que les membres de la famille avaient auparavant pris l’habitude de se faire inhumer dans l’église des frères prêcheurs, Notre-Dame des Jacobins, à Agen. Le vœu d’Etienne de Durfort se concrétise après son décès (vers 1535), grâce à son fils, Alain.  La construction de la chapelle sur la rive droite du Séoune, cours d’eau traversant le domaine familial de Lafox, vers 1540, s’accompagne de l’érection du tombeau familial, destiné non seulement à rappeler le souvenir des défunts, mais aussi à conférer à l’édifice un rôle funéraire. Alain de Durfort et son fils, François, sénéchal d’Agenais, choisissent ainsi ce lieu comme sépulture. 

Une iconographie traditionnelle adaptée à une structure moderne

Le tombeau de la chapelle de Lafox est parvenu en mauvais état, sans doute victime de mutilations pendant les diverses périodes iconoclastes, fortement préjudiciables dans l’Agenais pour les supports visuels de la foi et les témoignages mémoriels de la société dirigeante. Le gisant du seigneur chevalier, dans son armure complète, est étendu près de son épouse. Cette dernière porte une coiffe empesée, une robe à manches serrées à gros bouillons et une ceinture métallique où pendent les patenôtres. Le couple adopte une posture traditionnelle, les mains jointes en prière, le visage serein et les yeux ouverts, reprenant un schéma éculé. Le soubassement est constitué d’une série d’arcades trilobées abritant des images sacrées. Leur disposition ordonnée place au droit des têtes des gisants le Christ bénissant encadré de deux anges en prière. Le côté opposé reçoit les saints tutélaires du couple, avec au centre la patronne de la chapelle castrale, sainte Catherine d’Alexandrie, tenant la roue de son martyre. A sa droite, saint Etienne tient les pierres, symboles de sa lapidation, tandis que la sainte placée à gauche, affublée d’une coiffure sophistiquée, porte vraisemblablement le prénom de la défunte, sainte Françoise ou sainte Rose. Le collège apostolique, groupé en deux séries de six apôtres, complète le décor du coffre sur deux grands côtés.

Ce monument funéraire combine deux formules traditionnelles. Le soubassement à figures renvoie au modèle défini pour le tombeau de Philibert Dagobert, frère de Louis IX, mort en 1234, réalisé pour l’abbaye de Royaumont (basilique de Saint-Denis) à partir d’exemples champenois. Cette cohorte évolue en vrai cortège de pleurants, dont les tombeaux du duc de Berry à Bourges et des ducs de Bourgogne à la chartreuse de Champmol (Dijon) forment les exemples les plus aboutis Elle s’enrichit en y ajoutant une seconde tendance, les monuments décorés de figures saintes, fréquents dans les enfeux des tombeaux napolitains et avignonnais, tel le tombeau du cardinal de Philippe Cabassole à la chartreuse de Bompas (payé en 1377). Un Saint Pierre de ce tombeau est conservé au musée du Petit Palais, Avignon, inv. CAL 16318). Figures profanes et sacrées sont réunies sur l’enfeu et le soubassement du tombeau pariétal de Renée d’Orléans-Longueville (vers 1515, musée du Louvre, Paris, inv. R.F. 3051). Toutefois, le tombeau de Lafox se rattache davantage à des exemples de tombeaux détachés du mur, comme le monument commémoratif de la famille d’Orléans, exécuté sur ordre de Louis XII par des artistes gênois et installé dans l’église des Célestins à Paris en 1504 (basilique de Saint-Denis) ou le tombeau du duc François II et de Marguerite de Foix, parents d’Anne de Bretagne, réalisé par Michel Colombe (vers 1430-1512) en 1507 pour la chapelle du couvent des Carmes de Nantes (cathédrale Saint-Pierre, Nantes). Les figures ducales sont posées sur un soubassement avec des niches abritant des statuettes d’apôtres. Les traditionnels pleurants sont, quant à eux, relégués dans des médaillons installés dans le registre inférieur. Cette volonté d’allier plusieurs traditions, qui fait de ce monument une œuvre pivot, se retrouve plus modestement sur le tombeau des Durfort, exécuté par un atelier local moins au fait des nouveautés qu’un artiste de cour mais soucieux de répondre à une commande ambitieuse. Le recours au calcaire peut s’expliquer par le coût élevé du marbre et de l’albâtre et par la complexité de leur approvisionnement. Il n’en demeure pas moins que la sculpture s’avère maladroite et la posture des figures hiératique. Si sont évacués les pleurants et les animaux héraldiques placés habituellement aux pieds des gisants, les sculpteurs persistent à laisser les yeux ouverts. Peu aguerris à ce type de production et peu formés au vocabulaire à l’antique, les artistes installent les images sacrées du soubassement sous des arcades trilobées et ignorent la mode des niches timbrées d’une coquille. Le répertoire ornemental de candélabres, utilisé largement depuis le retour des expéditions en Italie à la fin du XVe siècle, fait ici défaut tandis que les têtes des défunts sont protégées par de traditionnels dais gothiques.

Des singularités entourées de mystère

Néanmoins, les mutilations perpétrées sur le tombeau, les usures du temps et la méconnaissance du reste du décor de la chapelle invitent à la prudence : l’absence de relevé ancien ne facilite pas son étude stylistique et contextuelle. La tradition qui veut que la petite Vierge de Piété (inv. 57 A1), provenant aussi de la chapelle castrale, ait été placée à l’intérieur du soubassement n’a pu être vérifiée, même si les parties évidées de part et d’autre du Christ ont été incontestablement prévues dès l’origine. Le soubassement aurait donc été conçu comme une cella abritant une image de dévotion peu visible des fidèles. Réservée aux défunts, elle constituerait alors un exemple très rare de devotio moderna (courant religieux de la fin du Moyen Âge incitant à une pratique individuelle de la foi) par-delà la mort. L’emplacement des statuettes d’anges portant des écus armoriés se caractérise par sa rareté. Seules deux d’entre elles subsistent, du côté de l’épouse d’Etienne de Durfort, l’une avec les armoiries de Montpezat, allusion à son premier mariage, l’autre avec celles des Durfort associées à la famille Jourdain de l’Isle. Il dérive peut-être des quatre vertus cardinales monumentales qui scandent les angles du tombeau du duc et de la duchesse de Bretagne par Michel Colombe (voir supra). Il est impossible de connaître les sources d’inspiration et l’impact du tombeau des Durfort sur les artistes de l’Agenais, puisque ne subsiste pour la période équivalente que le tombeau de Pons de Gontaut (château de Biron), sculpté après 1524. Toutefois, les figures du soubassement laissent place à des reliefs, genre prisé depuis le chantier du château de Gaillon.

Les Durfort se montrent ici partisans de cette course effrénée à la réalisation de cénotaphes monumentaux, caractéristiques du XVIe siècle, pour marquer leur influence sur l’Agenais.

Provenance

Chapelle Sainte-Catherine, château de Lafox (Lot-et-Garonne) jusque vers 1875-1879 (maison de Durfort, de Chazron, de Brancas, de Turenne d’Aynac) ; don de Napoléon Joseph Gabriel, comte de Turenne d’Aynac au musée des Beaux-Arts, Agen, vers 1875-1879

Localisation

Rez-de-chaussée

Dernière mise à jour : 01 déc. 2020

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