Le Tintoret d’Agen

Redécouvrez Le Tintoret d’Agen, une exposition qui s’est tenue du 4 juin 1999 au 2 janvier 2000 au musée des Beaux-Arts d’Agen.

Le Tintoret d’Agen

Le 4 juin 1999 est une date historique pour le musée des Beaux-Arts, la Ville d’Agen et le patrimoine culturel puisque son Tintoret tout juste restauré fut présenté au public pour la première fois.

Réalisée à Venise à la fin du XVIe siècle, cette œuvre a, comme de nombreuses créations de l’époque, sombré dans l’oubli avant d’être retrouvée par hasard, en juillet 1997, dans le cadre d’une campagne de récolement des collections du musée menée par Yannick Lintz, conservatrice du musée d’Agen, et Hélène Glanville, restauratrice.

Le tableau, d’une certaine dimension, était déchiré et présentait des lacunes dans sa partie inférieure droite. Hélène Glanville, dont la mission consistait alors à faire un descriptif technique très détaillé des 655 tableaux du musée, remarqua que la toile semblait ancienne. Un premier examen révéla la présence d’une matière d’origine acqueuse dans la préparation de la couche picturale. L’ensemble de l’image était difficilement lisible mais on pouvait distinguer une figure féminine à l’allure proche des personnages de Véronèse. Dans les inventaires antérieurs, le tableau était répertorié comme une copie du XIXe siècle d’une œuvre de l’école de Véronèse mais, pour Hélène Glanville, la technique de préparation de l’œuvre correspondait davantage aux usages picturaux en cours à Venise au début du XVIe siècle.

Après quelques essais de décrassage, la scène centrale devint lisible : il s’agissait en réalité d’un couple amoureux. En consultant les ouvrages spécialisés sur les artistes vénitiens, une œuvre très semblable à celle d’Agen fut identifiée : Mars et Vénus, attribuée à Domenico Tintoretto et conservée à l’Art Institute de Chicago. On pensa donc d’abord que le Tintoret d’Agen pouvait être une autre version de ce tableau.

La préoccupation première était alors de situer l’époque de l’œuvre et d’étudier les différentes étapes de création. Des analyses scientifiques révélèrent la présence de pigments importés de Constantinople largement utilisés dans la peinture vénitienne des XVI et XVIIe siècles avant de tomber en désuétude. Vint ensuite le temps de la restauration : allègement du vernis et décrassage, enlèvement de la toile de doublage datant du XIXe siècle, comblement des lacunes de la couche picturale…

Des travaux de recherche ont ensuite été menés afin de confirmer la piste de l’attribution à Domenico Tintoret. Dans sa première période de création, l’artiste réalise de nombreux sujets poétiques et moraux, très prisés pour les commandes privées en Italie, à cette époque-là. Le tableau d’Agen s’inscrit dans cette tradition. Domenico Tintoret, à l’inverse de son père, appréciait les sujets complexes et littéraires, n’hésitant pas à réaliser parfois une dizaine de versions différentes d’un même thème, y introduisant des variantes subtiles. Chaque version correspond alors à un exercice de style, comme en littérature, par rapport à une idée esquissée par le dessin. Les compositions d’Agen et de Chicago sont ainsi des versions d’un même thème.

A la découverte du tableau d’Agen, il semblait évident que son sujet était, comme à Chicago, Mars et Vénus. Pourtant, au fur et à mesure des travaux de restauration, de nouveaux détails sont apparus : le tableau d’Agen est traité de manière plus narrative et connotée d’allusions. Le personnage masculin, à l’inverse du tableau de Chicago, n’a pas l’allure martiale. Dans le cas d’Agen, les armes ne sont pas représentées à ses pieds. Il tient en revanche dans la main droite une couronne de fleurs. Les deux personnages portent un bracelet et l’ensemble de l’histoire se passe sur une île. Cette scène s’inspire directement des chants 14 et 15 de la Jérusalem délivrée du Tasse qui résidait à la cour de Ferrare en même temps que Domenico Tintoret. Le poème ne fut publié qu’en février 1581, à Parme. Mais dès avril 1575, le poète en lisait des extraits à la cour de Ferrare. Domenico Tintoret a pu être inspiré par l’histoire de Renaud et Armide même avant son séjour à Ferrare. En effet, le Tasse est à Venise vers 1559-60 et, encouragé par Tintoret, il écrit ses premières ébauches poétiques, notamment le poème Rinaldo (Renaud) qu’il reprendra dans la Jérusalem délivrée. La scène illustrée par le tableau d’Agen est donc finalement la suivante : Renaud, l’un des preux chevaliers de l’armée des croisés aux côtés de Godefroy de Bouillon, est envoûté par Armide, magicienne syrienne, qui l’emmène sur son île. Les deux compagnons de Renaud, Charles et Ubalde, arrivent à l’aube sur l’île pour le délivrer.

La découverte du tableau d’Agen a immédiatement entraîné une enquête sur son origine. La mise à jour d’un inventaire aux Archives départementales du Lot-et-Garonne nous donne aujourd’hui la quasi-certitude que cette œuvre est entrée au musée en 1903. Il s’agit d’une donation de tableaux et d’objets par Louis-Léon Brondeau de Senelle. Le Tintoret y figure sous l’intitulé Renaud et Armide, mais sans attribution.