Seigen Kyu, distance et substance

Redécouvrez Seigen Kyu, distance et substance, une exposition qui s’est tenue du 7 septembre au 14 octobre 1996 au musée des Beaux-Arts d’Agen.

Seigen Kyu, distance et substance

Cette exposition a été réalisée en collaboration étroite avec l’association Pollen qui, établie à Monflanquin (Lot-et-Garonne) depuis 1991, contribue à valoriser la jeune création contemporaine en proposant des résidences d’artistes. Tout au long de l’année, des plasticiens européens y sont accueillis. Chaque été, un artiste japonais est également reçu permettant ainsi à l’association de renforcer sa vocation internationale. En 1996, les œuvres de Seigen Kyu sont exposées au musée d’Agen suite à sa résidence à Monflanquin.

« Les toiles de Seigen Kyu se laissent d’abord percevoir comme des disques de feu, rappelant le disque solaire des incas. L’or ou parfois l’argent sont en effet la matière de prédilection de l’artiste japonais. Mais ici ces matières précieuses ne sont pas simplement une ornementation rehaussée d’une scène en couleur comme dans la tradition des enluminures orientales et occidentales. Elles deviennent au contraire la manifestation d’une forme pure, dépourvue de couleur. Selon l’artiste, son travail n’est pas de la peinture mais du dessin, même s’il utilise de la matière picturale. Le refus de la couleur apporte une forme de concentration sur la structure, le mouvement et la lumière issue des pigments or et argent sur fonds noir, blanc ou argenté. Cette phase de préparation du fonds est déterminante, puisque la vingtaine de couches successives de noir ou blanc qui recouvrent la toile sont autant une forme de concentration de l’esprit que l’apparition d’une matière pure, sensation du vide, propice à la révélation du mouvement et de la lumière. Cette apparition du geste sur le carré blanc ou noir est une vision d’un espace qui se remplit subitement d’un mouvement spontané et imprévisible. La forme est simple. Un cercle vient délimiter le contour du mouvement ultérieur de l’artiste. Ce motif fait partie du style traditionnel zenga, issu au Japon de la philosophie zen. La figure si étroitement harmonisée avec l’espace vide donne l’impression d’une merveilleuse "vacuité" d’où surgit l’événement. Ce cercle a priori forme parfaite et abstraite devient chez Seigen Kyu concret et naturel. La ligne du cercle est en effet discontinue, révélant le mouvement de la main dans ses interruptions de mouvements, dans sa pression irrégulière sur la toile qui donne à la ligne une variété d’épaisseurs que seule une acuité visuelle permet de saisir. Ce geste concret et naturel rend la matière vivante et construit progressivement un espace irréel au rythme des palpitations. Le mouvement n’est pas simplement le développement d’une ligne continue mais devient l’apparition d’une respiration.

L’analogie avec le sujet et la présence du sujet dans la peinture devient ici évidente. L’artiste parle de ses œuvres comme des autoportraits. Nous ne sommes pas bien sûr dans un art de la représentation mais dans un art de sa présence sensible à travers la forme abstraite et souvent codée d’un univers dans lequel l’artiste nous invite à rentrer par-delà l’effet hallucinatoire des pigments or et argent scintillant sur la toile. Les lignes qui inscrivent des cercles et des ovales imbriqués reproduisent d’une œuvre à l’autre les mêmes configurations du sujet. Le cercle révèle toujours deux parties distinctes de gauche à droite. Il s’agit du yang et du yin, principe positif et négatif masculin et féminin qui forment dans la pensée zen un équilibre dynamique entre des natures opposées et qui entretiennent l’ordre du monde.

Ces disques remplis de ces mouvements qui vont jusqu’au détail stylistique parfois réaliste, comme une fleur, une branche d’arbre, révèlent ainsi l’expression de l’état d’âme de l’artiste dans son rapport à la nature. L’homme fait partie intégrante de son environnement. Les variations subtiles que l’on décèle d’une œuvre à l’autre sont autant de moments et d’ambiances différentes. Le portrait peut être empreint de solitude, de paix, de joie, de tristesse, à l’image de la sensation de l’instant de la création.

A travers l’art de Seigen Kyu, nous pénétrons ainsi dans une tradition japonaise de la vision harmonieuse du monde et de l’homme qui nous oblige à travers ses portraits illuminés à nous recueillir sur nous-mêmes. C’est un art de la concentration. » (Yannick Lintz dans Seigen Kyu, catalogue édité dans le cadre de la résidence de l’artiste à Pollen, 1996)