©Alban Gilbert
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Nature morte avec deux oiseaux morts, une souris et trois insectes

JEAN-BAPTISTE OUDRY (Paris, 1686-Beauvais, 1755)

Les collections abritées au château d’Aiguillon (Lot-et-Garonne) sont en partie vendues à l’encan à l’été 1793 et certains portraits sont victimes d’un autodafé, à Agen, en septembre de la même année. L’administration révolutionnaire avait auparvant dépêché les citoyens Jean Florimond Boudon de Saint-Amans et Prosper Noubel pour opérer une sélection d’objets à réserver à l’administration. Les deux émissaires choisirent notamment les deux natures mortes de Jean-Baptiste Oudry. Nature morte avec trois oiseaux morts, des groseilles, des cerises et des insectes constitue avec son pendant une œuvre capitale dans la carrière de l’artiste, fils du peintre Jacques Oudry (1720-1778) et élève de Nicolas de Largillierre (1656-1746). Premiers tableaux connus d’un genre auquel l’artiste va s’adonner toute sa vie, ils allient une scrupuleuse observation naturaliste et un sens illusionniste savant avec une économie de moyens qui distingue la manière de l’artiste de l’art opulent de son concurrent Alexandre-François Desportes (1661-1743).

Détails

Fiche technique de l'oeuvre
Artiste JEAN-BAPTISTE OUDRY (Paris, 1686-Beauvais, 1755)
Titre Nature morte avec deux oiseaux morts, une souris et trois insectes
Date 1712
Domaine Peinture
Technique Huile sur toile
Dimensions H. 0.31 m - L. 0.23 m -
Numéro d'inventaire 14 Ai
Sujet / Thème Nature morte, animaux

La beauté de l’ordinaire

Au centre du tableau, un moineau est suspendu à un clou par l’aile droite. En bas, un oiseau sans vie repose sur une margelle, la tête dans le vide. A sa gauche, un objet cylindrique en verre monté sur un pied de buis fait écho au vase de jasmins de la Nature morte à la mésange […] (inv.2017.3.1), seuls objets manufacturés – et donc produits par l’homme – représentés dans ce groupe de natures mortes. A droite de l’oiseau, sur la même margelle, une souris au pelage sombre, prête à jaillir, contraste avec ces éléments inanimés de même que les insectes voletant autour du moineau. D’une grande finesse, cette œuvre déploie une palette de tons subtils qui permettent à son auteur de dévoiler la beauté du quotidien. L’extrême précision du traitement des matières et du volume inscrit cette toile de la  jeunesse d’Oudry, empreinte de fraîcheur, dans l’art du trompe-l’œil. Sa compositon reste d’une grande simplicité : reposant sur des lignes horizontales et verticales. Tout comme les trois autres natures mortes réalisées par le peintre, la composition répond à une organisation  concentrée aussi autour de l’oiseau suspendu, le réseau de lignes du tableau s’entrecoupent au centre, juste à la jonction de l’aile droite et du corps de l’oiseau. La rigueur de cette organisation est perturbée par les lignes diagonales formées par le cylindre de verre monté sur pied en bas à gauche et à  droite la petite souris vivante. Les trois natures mortes peintes par Oudry se distinguent par une touche picturale très fine, inspirée de la technique porcelainée de certaines écoles hollandaises au XVIIe siècle : le rendu lisse met en avant les détails naturalistes du plumage ou du pelage des animaux, la texture des fruits, la transparence du vase.

Variations sur un même thème

La toile Nature morte avec deux oiseaux morts, une souris et trois insectes s’inscrit dans un groupe de tableaux exécutés entre 1712 et 1713 dont le musée d’Agen possède deux témoignages : Nature morte avec trois oiseaux morts, des groseilles, des cerises et des insectes (inv. 13 Ai), provenant aussi du château d’Aiguillon, et Nature morte à la mésange, aux souris, aux noix et au vase de jasmins (inv. 2017.3.1) , acquise par le musée d’Agen en 2017. Une Nature morte avec deux oiseaux morts et des insectes, anciennement au musée des Beaux-Arts de Marseille (legs Surian, 1891, inv.n°739), fut également réalisée en 1713. De formats quasi identiques, ces quatre œuvres, qui semblent être des variations d’une seule et même scène, témoignent d’une scrupuleuse observation de la nature avec une maîtrise savante de l’art du trompe-l’œil. La simplicité de la représentation de la vie quotidienne, traduite par un dépouillement extrême de la mise en page, donne l’occasion à Jean-Baptiste Oudry de manifester sa virtuosité dans le traitement des surfaces et de se mesurer, à la suite de son maître Nicolas de Largillierre, aux exploits illusionnistes des légendaires Zeuxis ou Parrhasius. Elle l’invite aussi à s’affranchir des natures mortes opulentes des artistes flamands et du luxe de détails des œuvres de de son principal concurrent Alexandre-François Desportes (1661-1743). Ces premières toiles, conçues comme des exercices du maître à ses débuts, destinés à une commercialisation chez les marchands du pont Notre-Dame à Paris, deviennent des objets de curiosité très recherchés par la suite. Les pendants agenais se retrouvent en 1788 dans la bibliothèque du château d’Aiguillon parmi les œuvres les plus précieuses de la collection. 

Oudry, entre sensualité et simplicité

Jean-Baptiste Oudry suit les traces de son père, Jacques Oudry, directeur de l’Académie de Saint-Luc, ancienne corporation des peintres de Paris. Il se forme successivement dans les ateliers de Michel Serre (1658-1733) et de Nicolas de Largillierre (1656- 1746), où il copie les œuvres des écoles du Nord. D’abord peintre religieux et portraitiste, il entre à l’Académie royale de peinture et de sculpture en qualité de peintre d’histoire, en 1719. Pourtant, sa renommée est surtout liée à sa production de tableaux d’animaux et de natures mortes de gibier, qu’il peint dès le début de sa carrière avec les exemples conservés dans les musées d’Agen et de Marseille. Devenu peintre des chasses royales, il reçoit des commandes émanant de toute l’Europe. Il revient à des natures mortes composées de quelques objets comme des animaux morts, à l’image du Canard blanc (volé) en 1745, un de ses chefs-d’œuvre. L’œuvre d’Oudry tout en sensualité et en simplicité, s’inscrit dans la même veine que celle de son contemporain, Jean-Siméon Chardin (1699-1779). L’équilibre formel, poussé à un degré de géométrisation et à un sens du volume inconnus, inspire à l’époque moderne Paul Cézanne (1839-1906), George Braque (1882-1963) et Giorgio Morandi (1890-1964).

Provenance

Collection du duc Emmanuel-Armand d’Aiguillon, château d’Aiguillon (bibliothèque), 1788 ; collection du duc Armand-Désiré d’Aiguillon, château d’Aiguillon (bibliothèque), 1788-1792 ; saisie révolutionnaire, 1792 ; Museum de l’École Centrale, ancien évêché, Agen, 1796-1803 ; Légion d’Honneur, ancien évêché, Agen, 1803-1810 ; Préfecture de Lot-et-Garonne, 1810-1905 ; dépôt de la Préfecture de Lot-et-Garonne au musée des Beaux-Arts, Agen, 1905 ; classement au titre des Monuments Historiques, 1918

Expositions

  • Concours régional de 1863. Exposition de peinture, d’objets d’art et d’antiquités, Halle, Agen, 1863, n° 126 ou 127
  • J.-B. Oudry. 1686-1755, Galeries nationales du Grand Palais, Paris, 1er octobre 1982-3 janvier 1983, n° 2
  • Le trompe-l’œil : plus vrai que nature ?, musée de Brou, Bourg-en-Bresse, 21 mai-4 septembre 2005, n° 39
  • Animal, musée des Beaux-Arts, Pau, 17 mai-17 août 2014

[Oeuvre signée et datée en bas à gauche]

Localisation

1er étage

Dernière mise à jour : 12 oct. 2022

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